En torche !
Le parachute en torche, c’est le fantasme n°1, concernant les accidents en plein ciel. Au moment de l’ouverture, la voilure sort du sac mais ne s’épanouit pas ; elle s’allonge en forme de fuseau, de flamme, de torche, d’où le nom.
Le sauvetage de Marie Madeleine Reybet-Degat par Edouard Beaussant vu par un journal Italien ! |
Au chapitre VI de "Mon parachute et moi", Colette Duval raconte qu’elle s’est fait sermonner par Sam Chasak : Et pour l’amour du ciel, oublie tout ce que tu as pu entendre raconter par des « fiers-à-bras », dans le style « drame de l’air », torche, pépins qui ne s’ouvrent pas, déchirures, fractures, etc. Tu penses bien que si c’était aussi grave que ça, ils ne seraient pas là pour le raconter. Tu ne cours pas plus de danger que dans n’importe quel sport, et je t’ai déjà dit que les assurances nous couvraient pour la même prime que les footballeurs, alors… |
Dans "Le Dessous du ciel" (roman), il n’y avait pas de "refus de saut", et pas de parachute en torche non plus. Dans la vie, en un peu plus de six cents sauts, je n’ai connu pour ma part ni l’un ni l’autre.
Parachute en torche |
Le refus de saut se résout rapidement. La torche entraîne des conséquences plus graves : Joëlle ouvre certes son parachute de secours, elle "fait ventral", mais avec un certain retard, d’où frayeur de tous – les deux autres Voltigeurs de l’Air, le public du meeting, son frère Hervé – et colère de Frank, qui l’exclut pratiquement des activités à venir, tant il se sent coupable d’avoir laissé sauter une équipière psychologiquement fragilisée par l’accident de Mike.
Parachute ventral |
Pour comble, Jo explique à ce dernier que pendant les secondes décisives entre dorsal et ventral, "elle réfléchissait"… "à eux deux" !
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Il y a des torches qui finissent mal, soit que le chuteur n’utilise pas son ventral, ou trop tard (à 500 mètres du sol, il reste dix secondes avant l’impact) soit que ce dernier s’emmêle dans le parachute dorsal, si celui-ci n’a pas été libéré du harnais.
Mais il y a aussi des torches qui finissent bien… et de façon spectaculaire !
Je me souviens d’Édouard Beaussant, héros d’un sauvetage qui a déjà été narré, mais qui, en matière de torche, ne peut pas être ici passé sous silence. Sur la photo « Biscarrosse, élèves et moniteurs » figurant dans le blog, il est facile à repérer : c’est le 2ème à droite, debout. Le seul qui porte un T-shirt blanc… le seul qui, mains sur les hanches, baisse la tête et se dispense de regarder sortir le petit oiseau. Moi je suis la 2ème à droite, assise, avec des patins à roulettes aux pieds. Entre deux sauts, on pratiquait ce genre de distraction sur l’asphalte des pistes… et puis on prêtait l’oreille aux histoires vécues par nos aînés !
Biscarosse, moniteurs et élèves |
Parachute en torche |
Avignon, 1958.
Marie Madeleine Degat, jeune infirmière de 22 ans, s’apprête à effectuer son centième saut, au-dessus du centre que dirige Édouard Beaussant. Ils sont dix à bord du Dragon de Havilland, tous en ouverture commandée. Beaussant franchit la porte le premier : il vient de chapitrer ses élèves à propos des ouvertures (trop) basses, et veut les surveiller. Parachute ouvert, il les regarde chuter au-dessus de lui, tirer la poignée à l’altitude règlementaire. Un, deux, trois… quelque chose ne va pas. Le parachute de Marie Madeleine est en torche. « Ventral ! » hurle son moniteur.
Elle ne l’entend pas, mais elle connaît la procédure. Le parachute de secours se déploie mollement… et reste bloqué à l’intérieur de la voilure déformée du dorsal, coinçant au passage entre ses suspentes la jambe gauche de Marie Madeleine, qui se retrouve la tête en bas, en route pour une rencontre avec le sol à plus de 100 km/heure !
Le miracle s’appelle « Dédé Beaussant » écrit Saint-Loup. Le miracle en question, à coups de tractions sur les suspentes, parvient à se placer sur l’axe de descente de Marie Madeleine, au risque d’une collision qui les condamnerait tous les deux. Elle arrive, elle frôle sa voilure… et lui, il saisit la sienne entre ses bras, freinant progressivement sa chute tout en se brûlant au contact du nylon.
Il lui crie : « Hé, Madelon, où t’en vas-tu sans ton parapluie ? Accroche-toi à mes jambes, ça va taper sec ! »
Elle y parvient. La voilà revenue en position verticale, la jambe gauche toujours ligotée par le ventral. Le sol monte. Sa jambe droite le percute ; Beaussant tient encore sa voilure, pour freiner au mieux, et veille à se poser sans écraser son élève.
Marie Madeleine s’est fracturé la cheville, a guéri, a continué à sauter, a épousé un (autre) pratiquant de la chute libre.
Elle a fait partie pendant deux ans de l’équipe de France de parachutisme sportif.
Une couverture médiatique exceptionnelle
Journaux italiens - CORRIERE DELLA SERA
Traduction : Sauvée en vol. Lors d'un exercice de parachutisme au-dessus de l'aéroport d'Avignon (France), une jeune étudiante saute de l'avion. Le parachute s'ouvre mais pas complètement. Elle descend à une vitesse vertigineuse vers le sol. Un instructeur, se rendant compte de l'accident, manœuvre de manière à se rapprocher de la jeune fille en danger et parvient à l'attraper. En raison du poids plus important, l'atterrissage des deux s'effectue avec une certaine vitesse, mais sans conséquences graves. Le courageux instructeur était indemne ; la jeune femme s'en est sortie avec des blessures légères en touchant le sol. (Dessin de Walter Molino) |
L 'air immobile était lourd sur l'aérodrome d'Avignon et on pouvait s'attendre à un "cagnard» du mois d'août bien que l'on soit en septembre.
Trésor, comme l'appelaient ses copains, se préparait à vivre une grande journée pour son centième saut en parachute. Vingt-deux ans, jeune fille de bonne famille, elle avait dû batailler ferme auprès de ses parents pour être autorisée à pratiquer ce sport. A l'époque ce sport pas comme les autres était plutôt réservé aux « Mecs » et avait des résonances un peu troubles, militaires... Il est vrai que lorsqu'elle avait débuté, trois ans plus tôt, en 1955, les souvenirs de Dien Bien Phu n'étaient pas très lointains. Mais elle avait acquis une certaine expérience et, sous une apparence modeste et réservée, se cachait une vraie personnalité.
Dédé, le patron du centre sportif, était un peu préoccupé en qualité d'instructeur ce jour-là. Ses élèves, qui avaient globale- ment une bonne technique de chute libre, commençaient à moins bien respecter les altitudes d'ouverture du parachute et, quand la prudence diminue, les risques augmentent... Un drame se nouait insidieusement sans que personne ne s'aperçoive de rien.
Il décide donc ce jour-là, en entraînant la petite équipe, de sauter le premier, d'ouvrir son “pépin” plus bas que la normale pour mieux surveiller l'altitude d'ouverture de ses élèves, afin de remettre dans le droit chemin ceux qui jouent sans s'en rendre compte avec leur vie.
Le Dragon de Havilland, biplan attitré du club, décolle avec la petite équipe de copains et, parvenu à 2000 mètres, le pilote effectue sa prise d'axe. Dès que Dédé quitte l'avion il est aussitôt suivi de Trésor qui, se doutant bien qu'elle est sous surveillance, ouvre son parachute au point fixé et à l'altitude réglementaire. Le moniteur, qui a choisi le même point d'ouverture mais 200 mètres plus bas, surveille ses élèves et sent brusquement sa respiration se bloquer en voyant au-dessus de lui un parachute en torche.
Trésor, car c'est bien d'elle qu'il s'agit, comprend immédiatement ce qui lui arrive et actionne son parachute ventral de secours. C'est la deuxième, et sans doute dernière catastrophe, car son ventral aspiré par son autre parachute se met également en torche. La mort est au rendez-vous sous un ciel calme et lumineux, personne n'a en effet jamais réchappé d'une chute, tête la première, à 180km/heure. Elle est partagée entre des sentiments contradictoires: l'acceptation fataliste du sort qui l'attend, la peur mais plus encore la révolte devant sa totale impuissance.
Regardant en direction du sol qui l'attend, elle est brusquement tétanisée en réalisant qu'elle est sur la trajectoire d'une autre coupole de parachute, bien gonflée celle-là. "C'est horrible”, se dit-elle, on va être deux à se piler. En effet, si elle passe juste au bord, elle ira seule vers l'issue fatale mais si elle percute le centre de l'autre parachute, alors tout est à craindre. Les quelques secondes qui lui restent ont un “parfum” d'éternité.
Dédé - bien sûr, c'est lui qui est dessous - analysant la situation avec un sang froid incroyable et sans se préoccuper des risques énormes qu'il prend, manœuvre pour se placer sous sa trajectoire, espérant la happer au passage (avec le matériel de l'époque ce n'était pas une mince affaire).
Le choc a lieu et Trésor, après avoir impacté le parachute de Dédé, se sent tout à coup brutalement freinée et stoppée. Le miracle vient de se produire. Il y a des fractions de secondes qui durent des siècles. Elle n'ose pas y croire - “Ô temps suspends ton vol”- et entend soudain la voix de Dédé qui lui dit “Eh Madelon!” (un autre nom qu'on lui donne aussi) où t'en vas-tu sans parapluie !”
Elle a heurté le parachute au point idéal, au mètre près, glissant sur la coupole et Dédé a pu bloquer la voilure en torche au passage. A un mètre près, sur la surface d'un terrain d'aviation !!
Mais le sol monte à une vitesse impressionnante, deux sous la même voile, et Trésor a toujours la tête en bas, il ne faut pas traîner. Vite un rétablissement en se raccrochant aux jambes de Dédé et c'est la rencontre un peu vive avec le sol.
Elle s'en tirera avec une cheville brisée et notre héros avec une... jaunisse.
Bien sûr, la presse nationale et internationale en a parlé (photo). Trésor est devenue à son tour instructeur, championne de France de parachutisme, a épousé un parachutiste et... profite aujourd'hui, doublement peut-être, de la vie si agréable de notre village.
Sur son lit d'hôpital ses copains sont venus écrire quelques commentaires sur le plâtre qui entourait sa cheville en morceaux. Dédé y inscrivit seulement deux mots: «Deo Gratias».
Édouard Beaussant a fait carrière à Biscarrosse, au Centre National de Parachutisme.
© Biscarrosse Mémoire du parachutisme civil |
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