Celui qui passait dans un cerceau…

 

Celui qui passait dans un cerceau…
à 4000 mètres d’altitude


    Lors du tournage du Dessous du ciel, pour chaque acteur incarnant un(e) parachutiste, une « doublure » effectuait les sauts. Pas question d’envoyer des professionnels du cinéma à 2000 ou 3000 mètres puis de les récupérer au sol ! Le générique du feuilleton (fâché avec les majuscules) mentionne : 


    Un article de presse du 5 août 1973, présent sur le blog, narrant les « trois semaines en Valais » de l’équipe d’acteurs, techniciens et figurants, est plus loquace : Pour doubler les acteurs, censés sauter en parachute, ce sont des membres du Para-Club Valais et des spécialistes français qui ont été sollicités. C’est ainsi que nous avons pu assister à des sauts effectués par MM. Gérald Kummer, Maurice Constantin, Charly Crettaz, Daniel Berner du Para-Club Valais, avec M. Chambon, président du Para-Club de Savoie et M. Martial Malié, instructeur, qui a eu la délicate mission de filmer ses compagnons parachutistes au cours de leurs chutes. Cette équipe (…) a travaillé d’une manière époustouflante.

    Grâce à Frédéric et Lionel Chambon, j’ai pu retrouver l’un de ces vaillants chuteurs, et l’interroger ! 

- Paul Pasquette, de qui étiez-vous la doublure ? 

    Du personnage d’Agnès… j’ai dû raser ma moustache, car même plus ou moins éloignés, nos visages apparaissaient parfois, et un personnage féminin avec une moustache, non, ça ne passait pas !!!


- Vous avez fait partie de l’équipe d’un bout à l’autre de l’aventure ?
    Oui. Alors que je venais de changer de travail ! Mon nouveau patron, un homme en or, m’a laissé libre jusqu’à la fin du tournage.
- Quelle ambiance régnait dans cette équipe ? 

    Très conviviale, très amicale. Nous, les parachutistes, nous vivions pratiquement sur le terrain, nous y dormions… Les enfants étaient dans nos jambes, comme Fred, « le bébé qui pleure », Lionel, son frère, qui avait une dizaine d’années, et mes filles, des triplées, qui avaient son âge. Pour la séquence de parachute ascensionnel, j’étais avec François Dellenbach ; elles se trouvaient dans le bateau. Les acteurs logeaient à l’extérieur du terrain. Quand on allait tourner des scènes comme celle du « prince arabe » dans son château,

ils nous attendaient au sol. 

On sautait, on enlevait nos parachutes et on les leur mettait immédiatement sur le dos. Il fallait que chaque acteur porte une combinaison aux mêmes couleurs que celle de sa doublure, bien entendu.


- Même si les acteurs n’avaient pas le droit de sauter, vous étiez quand même entre passionnés de la chose aérienne ? Patrick Verde, qui jouait Frank, venait d’achever son service militaire chez les paras ; Pierre Brice, qui incarnait Mike, le pilote, avait à son actif une carrière dans les commandos où il avait pratiqué le parachutisme… quant à Gérard Chambre, libéré des interdits liés au tournage, il s’est empressé de sauter !  
    Quand même, Marie-Georges Pascal, qui tenait le rôle de Joëlle, l’héroïne, trouvait que son parachute était bien pesant. 
- Une vingtaine de kilos, à l’époque, pour un dorsal plus un ventral…
    … Alors on lui avait fabriqué un faux parachute, en plastique, beaucoup moins lourd.  Pour la séquence où elle est à la porte de l’avion, d’où elle regarde partir Frank et Louis, elle ne voulait pas avoir de parachute sur le dos. 
- La séquence a vraiment été tournée en altitude ? 
    On l’a attachée avec une sangle, qui ne se voyait pas. 
- Vous étiez de fantastiques bricoleurs !

    Nous étions polyvalents. À l’origine, j’étais mécanicien dans l’aéronavale. Donc pendant tournage, j’assurais une partie de l’entretien de l’avion ! C’est moi aussi qui ai teint les parachutes qu’ouvre André Chambon pendant le générique avec de l’eau salée car la teinture ne prend pas sur le nylon !


     L’image a vieilli, pourtant on voit encore qu’il y avait plusieurs couleurs. Il y avait en principe six parachutes ventraux, lovés dans un seul sac… une fois les cinq premiers ouverts, le sixième n’avait plus assez d’air et n’a jamais voulu se gonfler.
- C’était déjà spectaculaire, avec cette grappe de cinq coupoles.
    Et pour l’épisode où le parachute de Joëlle est en torche, on avait bricolé aussi, en ligaturant la voilure à filmer, pour qu’elle ne puisse pas s’ouvrir. C’est François Dellenbach qui a sauté, avec trois parachutes : les deux « normaux » (dorsal, ventral) et celui qui était piégé.  

- Quand l’hélicoptère est censé hélitreuiller Mike, inconscient après son accident sur le glacier…

    Là, il s’agissait d’un mannequin, que possédait le para-club, et qui servait à des essais. 
- Pierre Brice, qui incarnait Mike, était depuis des années une énorme vedette en Allemagne, dans le rôle de l’Apache Winnetou. « Il arrivait sur le tournage en Mercedes et lunettes de soleil, racontait longtemps après Gérard Chambre. Ce n'est qu'à la fin qu'on a compris à quel point c'était une star en Allemagne... » Vous, comment le trouviez-vous ? 
    Je le trouvais normal ! Il était copain, amical, sympathique. Tout le monde s’entendait très bien.
- Pour les chutes libres, pas de trucages !
    Aucun. La séquence de vol relatif en étoile a mobilisé une quinzaine de parachutistes. 
- Il n’y avait pas de seconde ou troisième prise, comme c’est en revanche souvent le cas pour les acteurs ? 
    Jamais. Je ne me souviens pas d’avoir dû recommencer une scène !
- Vous-même, Paul, combien avez-vous effectué de sauts ?
    Mille sept sauts. Il m’est arrivé de partir de six mille mètres, sans oxygène… c’était une autre époque. 
- Vous avez de nouveau regardé le feuilleton, sur Youtube ? Vous pouvez vous reconnaître, dans les épisodes où vous figurez ? 

    Parfaitement. Dans l’épisode 21, on voit deux chuteurs qui tiennent un cerceau entre eux…


Et vous ?
    Moi, je suis celui qui arrive et qui passe dans le cerceau !


Celui qui tenait le cerceau…

Une autre de ces valeureuses doublures a bien voulu confier quelques souvenirs à Alain Lamaison, pour qu’il les fasse figurer ici. Souvenirs qui recoupent et complètent ceux de son ami Paul. Il s’agit de François Dellenbach, lequel sautait à la place de Patrick Verde, alias Frank à l’écran.

Il se souvient…

  • d’une séance de présentation du feuilleton destinée à l’équipe, avec les doublures, les techniciens… ils ont « avalé » les épisodes montés en continu, y compris chaque générique de début et de fin, le tout suivi d’un repas… et ont frôlé l’indigestion ! 

  • de la séquence de vol relatif en étoile, tournée en région Île-de-France, à la Ferté-Gaucher.

  • du petit Fred Chambon (décidément la vedette incontestée du feuilleton), difficile à filmer, car il pleurait trop.

  • Quant à la fameuse séquence du passage dans le cerceau pendant la chute libre depuis 4000 mètres d’altitude… André Chambon tenait le cerceau d’un côté, et lui, François Dellenbach, de l’autre ! 


    HH, déc. 2023







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