En torche !

 

En torche !

    Le parachute en torche, c’est le fantasme n°1, concernant les accidents en plein ciel. Au moment de l’ouverture, la voilure sort du sac  mais ne s’épanouit pas ;  elle s’allonge en forme de fuseau, de flamme, de torche, d’où le nom. 

    Au chapitre VI de Mon parachute et moi, Colette Duval raconte qu’elle s’est fait chapitrer par Sam Chasak : Et pour l’amour du ciel, oublie tout ce que tu as pu entendre raconter par des « fiers-à-bras », dans le style « drame de l’air », torche, pépins qui ne s’ouvrent pas, déchirures, fractures, etc. Tu penses bien que si c’était aussi grave que ça, ils ne seraient pas là pour le raconter. Tu ne cours pas plus de danger que dans n’importe quel sport, et je t’ai déjà dit que les assurances nous couvraient pour la même prime que les footballeurs, alors… 

    Dans Le Dessous du ciel (roman), il n’y avait pas de « refus de saut », et pas de parachute en torche non plus. Dans la vie, en un peu plus de six cents sauts, je n’ai connu pour ma part ni l’un ni l’autre. 

    Il faut croire cependant que les scénaristes ont jugé ces péripéties inéluctables : Joëlle, l’héroïne du feuilleton, incarne les deux incidents, respectivement dans les épisodes n°6 et 22. Le refus de saut se résout rapidement. La torche entraîne des conséquences plus graves : Joëlle ouvre certes son parachute de secours, elle « fait ventral », mais avec un certain retard, d’où frayeur de tous – les deux autres Voltigeurs de l’Air, le public du meeting, son frère Hervé – et colère de Frank, qui l’exclut pratiquement des activités à venir, tant il se sent coupable d’avoir laissé sauter une équipière psychologiquement fragilisée par l’accident de Mike. 

Parachute ventral

    Pour comble, Jo explique à ce dernier que pendant les secondes décisives entre dorsal et ventral, « elle réfléchissait »… « à eux deux » ! 

Colère de Frank (Le dessous du ciel épisode 22)


    Il y a des torches qui finissent mal, soit que le chuteur n’utilise pas son ventral, ou trop tard (à 500 mètres du sol, il reste dix secondes avant l’impact) soit que ce dernier s’emmêle dans le parachute dorsal, si celui-ci n’a pas été libéré du harnais.

    Mais il y a aussi des torches qui finissent bien… et de façon spectaculaire ! 

    Je me souviens d’Édouard Beaussant, héros d’un sauvetage qui a déjà été narré, mais qui, en matière de torche, ne peut pas être ici passé sous silence. Sur la photo « Biscarrosse, élèves et moniteurs » figurant dans le blog, il est facile à repérer : c’est le 2ème à droite, debout. Le seul qui porte un T-shirt blanc… le seul qui, mains sur les hanches, baisse la tête et se dispense de regarder le petit oiseau sortir. Moi je suis la 2ème à droite, assise, avec des patins à roulettes aux pieds. Entre deux sauts, on pratiquait ce genre de distraction sur l’asphalte des pistes… et puis on prêtait l’oreille aux histoires vécues par nos aînés ! 

Biscarrosse, élèves et moniteurs


    Beaussant ne se vantais jamais de son exploit. Si quelqu’un de sa génération le sollicitait, il consentait à nous le résumer. J’en ai retrouvé le récit grâce au livre Le ciel n’a pas voulu (Saint-Loup, 1979), dont Fred Chambon m’a signalé récemment l’existence.  

Parachute en torche

    Avignon, 1958. Marie-Madeleine Degat, jeune infirmière, s’apprête à effectuer son centième saut, au-dessus du centre que dirige Édouard Beaussant. Ils sont dix à bord du Dragon de Havilland, tous en ouverture commandée. Beaussant franchit la porte le premier : il vient de sermonner ses élèves à propos des ouvertures (trop) basses, et veut les surveiller. Parachute ouvert, il les regarde chuter au-dessus de lui, tirer la poignée à l’altitude règlementaire. Un, deux, trois… quelque chose ne va pas. Le parachute de Madeleine est en torche. « Ventral ! » hurle son moniteur. 

    Elle ne l’entend pas, mais elle connaît la procédure. Le parachute de secours se déploie mollement… et reste bloqué à l’intérieur de la voilure déformée du dorsal, coinçant au passage entre ses suspentes la jambe gauche de Madeleine, qui se retrouve la tête en bas, en route pour une rencontre avec le sol à plus de 100 km/heure ! 

Parachute en torche


    Le miracle s’appelle « Dédé Beaussant » écrit Saint-Loup. Le miracle en question, à coups de tractions sur les suspentes, parvient à se placer sur l’axe de descente d’Anne-Marie, au risque d’une collision qui les condamnerait tous les deux. Elle arrive, elle frôle sa voilure… et lui, il saisit la sienne entre ses bras, freinant progressivement sa chute tout en se brûlant au contact du nylon. 

    Il paraît qu’il lui a crié : « Hé, Madeleine, où t’en vas-tu avec tes parachutes ? Accroche-toi à mes jambes, ça va taper sec ! »

    Elle y parvient. La voilà revenue en position verticale, la jambe gauche toujours ligotée par le ventral. Le sol monte. Sa jambe droite le percute ; Beaussant tient toujours sa voilure, pour freiner au mieux, et veille à se poser sans écraser son élève.  

    Madeleine s’est fracturé la cheville, a guéri, a continué à sauter, a épousé un (autre) parachutiste. 

    Édouard Beaussant a fait carrière à Biscarrosse, au Centre National de Parachutisme. 

© Biscarrosse Mémoire du parachutisme civil


Un saut à deux plus académique : Édouard Beaussant (à droite) et Jacques Rode. © Biscarrosse Mémoire du parachutisme civil


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